vendredi 8 février 2013

Alasitas et Ekeko


Une fête populaire à La Paz

Le 24 janvier est une date importante pour les paceñas et paceños: c’est le jour de la fameuse et populaire fête « Alasitas ». A son inauguration participent non seulement les autorités locales, mais aussi le Président en personne. Le 24 janvier, c'est également le jour de "Notre dame de La Paz". Toutefois, sa fête passe un peu inaperçue, face au grand "Ekeko"...


Ce jour-là, peu avant midi, excitation au bureau. Mes collègues Susana, Claudia et Neyza, en cœur « Vamonos a las Alasitas ! » (Allons à Alasitas !). Je suis surprise : « Mais, n’avions-nous pas justement une réunion de travail ? ». Déception sur leurs visages. Je sens un tiraillement. En fait, j’avais heureusement mal compris : la réunion était pour le lendemain. Ni une ni deux, je les accompagne. En chemin, j’essaie de comprendre un peu mieux ce qui se passe. Elles m’expliquent alors que jusqu’à midi, les paceños se rendent dans les nombreuses petites foires qui se sont installées par-ci, par-là, dans les rues, sur les places, pour acheter des objets artisanaux miniatures. Ensuite, ces objets sont « bénis » par des personnes, qui, en échange de 5.- bolivianos (moins d’un franc suisse), leur confèrent une magie. Il n'est pas rare que les personnes fassent aussi bénir leurs miniatures par des prêtres. La croyance est que ce qui est acquis en miniature se concrétisera au cours de l’année. Comme le qualifie Carlos Ponce Sangines, archéologue bolivien, il s’agit d’une « magie homéopathique, qui obéit à la loi de la similitude », « le semblable produit le semblable ». On retrouve ce type de croyance dans les rituels réalisés par certaines personnes lors du passage à la nouvelle année : on met sur la table une abondance d’aliments, pour ne manquer de rien au cours de l’année à venir. On fait le tour du quartier valise au bras, pour que l’année soit propice aux voyages souhaités.

Dans les foires de la fête Alasitas, on trouve de tout, en miniature : maisons, voitures, commerces, immeubles, argent (dollars, bolivianos, euros), aliments, valises (pour voyager), passeport avec carte visa (pour bien voyager), crapauds (chance)
Crapaud de la fortune
coqs et poules (pour trouver un ou une partenaire), certificats de formation de toutes sortes, certificats médicaux de bonne santé, bébés (pour une grossesse), chaudrons d’abondance, etc. Les objets se ressemblent beaucoup d’un stand à l’autre. Toutefois, certains artisans font preuve de créativité, proposant des objets réalisés avec plus de soin et d’originalité. Chaque année, des nouveautés apparaissent, liées à l’air du temps et qui sont l’objet de commentaires dans les journaux et médias. Cette année par exemple, des préservatifs miniatures ont été objet de controverse à El Alto. Certains ont refusé leur vente, argumentant que cela ne correspondait pas aux coutumes, que c’était immoral ou qu’ils n’étaient pas adéquats dans une foire où affluent les enfants. Dans un autre registre, un nouveau type de coq a fait son apparition. Les coqs garantissent qu’une femme trouvera un compagnon. Leurs couleurs ont une signification : les blancs attireront un homme célibataire ; les rouges sont pour qui recherche un amour éternel ; les noirs correspondent aux veuves qui aimeraient rencontrer un nouvel amour ; les oranges sont pour les femmes divorcées. Cette année, des coqs dorés ont été confectionnés pour la 1e fois. Selon une commerçante citée par le quotidien « Pagina 7 », ceux-ci «attirent un partenaire complet, un homme avec beaucoup d’argent et qui s’acquitte de ses obligations à 100% ».
Afin que cela fonctionne, un coq ne peut être acquis par la personne qui souhaite un partenaire.  Il doit lui être offert par une tierce personne et il est conseillé qu’il soit « béni » à midi le 24 janvier. 
Les fameux coqs, qui attirent la partenaire
Matériel de construction
Boucherie
Ce jour-là, il est aussi de tradition que les journaux publient des éditions spéciales, en miniature et avec un contenu satirique. C'est ainsi que l'édition de "Pagina 7" nous annonçait en 1e page, photografie à l'appui, que le Président Evo Morales s'était converti en commerçant de ponchos...

Avec mes collègues, nous avons fait nos provisions, pour nous, pour des amis, pour des membres de la famille. De retour au bureau ont eu lieu les échanges, majoritairement d’argent (les objets avec une signification plus précise sont plutôt échangés entre amis, membres de la famille, auxquels on souhaite des réalisations plus particulières). J’ai reçu et donné beaucoup de petits billets. Nous avons ri : j’étais la seule qui avait uniquement misé sur la monnaie bolivienne, tous les autres ayant également acquis dollars et euros…(pour voyager, pour attirer les financeurs étrangers).

Aujourd’hui, tous ces objets s’achètent, moyennant argent. Autrefois, Alasitas n’avait pas de vocation commerciale. Les miniatures s’acquéraient à travers le troc, en échange de petites pierres, de boutons de bronze, de fragments de céramique, etc. Il semble que cette tradition a duré jusque vers la fin du 19e siècle.

Il est intéressant de noter qu’à ce rituel tout le monde participe, indépendamment de sa condition sociale. C’est une fête éminemment populaire et appréciée de tous les paceños, petits et grands. 

Alasitas et Ekeko
Quelle est l’origine de cette fête, à quoi est-elle liée ? Voici ce que j’ai trouvé, en lisant un article d’un archéologue bolivien, Carlos Ponce Sangines. 
Au centre de la fête Alasitas de La Paz, on trouve un personnage singulier : l’Ekeko. Ce nain aux mesures disproportionnées (membres courts, grand torse), rondouillard, ventru et joufflu, chargé de divers objets miniatures, l’air rieur et gai, vêtu d’habits traditionnels, vous ouvre les bras.
On lui attribue la triple faculté d’apporter amour, fortune et bonheur. Aux femmes en particulier, il aurait le pouvoir de proportionner le partenaire rêvé. On dit que les objets dont il est chargé, ce qu’ils symbolisent, ne manqueront pas dans la famille. Son lieu préféré est la chambre à coucher. Il vaut mieux ne posséder qu’un seul Ekeko : deux pourraient renverser la chance et porter malheur.
L’Ekeko a souvent une cigarette aux lèvres : il est indiqué d’inviter l’Ekeko à fumer afin qu’il exauce nos vœux. S’il accepte de réaliser nos désirs, l’Ekeko fumera réellement la cigarette et la consumera entièrement.

Selon l’auteur Carlos Ponce Sangines, Ekeko viendrait d’Ekako, un nom d’origine aymara. Plusieurs historiens coïncident sur le fait que l’Ekeko aurait été une divinité précolombienne, liée à la fortune, la joie, l’amour, la prospérité le sexe, la fertilité.

Au cours du temps, l’Ekeko a subi des transformations. Il a perdu sa bosse, sa nudité et son sexe prépondérant. Ses traits indigènes se sont atténués. Autrefois sculpté dans la pierre, il est aujourd’hui généralement moulé dans le plâtre. De divinité, il s’est mué en une sorte de talisman, objet chargé de pouvoirs magiques, qui porte chance et succès. Il est surtout apprécié des habitants de La Paz, toutes classes sociales confondues. On ne le trouve pas beaucoup en dehors de la ville.

Ekeka
Depuis quelques années, on peut trouver une version féminine de l’Ekeko, du nom d'Ekeka. Cette figure a été proposée par le mouvement féministe « Mujeres Creando » (Femmes en processus de création). Selon sa créatrice Danitza Luna, étudiante en arts, l’Ekeka représente "celle qui accomplit les désirs de femmes rebelles et abandonne l’Ekeko, personnage machiste et gros qui se montre comme un homme qui apporte abondance d'aliments à la famille paceña. Ce qui est faux, car celle qui effectue ce travail est la femme."
"Derrière l'Ekeko, dieu de l'abondance, se cache la divinisation de la figure du père fournisseur. Il est chargé de sucre, café, pâtes et autres. Il est aussi chargé de radios, ordinateurs, voitures et autres objets que nous souhaitons pour construire notre bien-être. L'Ekeko se présente comme le fournisseur absolu de tous les biens dont nous avons besoin et que nous désirons" (Maria Galindo, Mujeres Creando, dans "Pagina 7", 25.01.11) .
Selon Maria Galindo, cette figure est en crise, la femme étant celle qui majoritairement approvisionne les familles. C'est ce qui a motivé la création d'une figure féminine de l'Ekeko, qui n'est pas simplement la face féminine de ce dernier. Elle représente les milliers de femmes Ekeka qui ont toujours assumé une double charge.
 La 1e figure de l’Ekeka présentée par « Mujeres Creando » en 2009 représentait une femme sur une bicyclette, chargeant un homme affalé sur son dos. En 2012, la « Ekeka vers la liberté » illustrait une femme transportant sur son dos un grand sac, laissant derrière elle, affalé sur le sol, un homme ivre. Une femme confiante, en marche vers un futur meilleur. 


Galerie d'images
Une cuisinière et ses bombones de gas
Tous les produits courants, en miniature (cela rappelle des jeux d'enfants)
Des sacs de riz
Le quit du
maçon
A la foire Alasitas, on peut aussi se marier
Une nouveauté cette année: les tourtes "Dumbo"
Sans oublier les boissons les plus consommées
Tout le monde profite: une fameuse charcuterie vend des" hot-dog bébé"...
La technologie n'est pas en reste: les portables
Sans oublier personne...
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